SÓSKÚT ET LES TAILLEURS DE PIERRE

Mardi 21 février, lorsque nous avons mis nos sacs d'outils à l'épaule. Après une heure de bus depuis Budapest, nous découvrons notre nouveau travail et une nouvelle équipe. Le petit atelier à ciel ouvert va devenir notre quotidien pour trois semaines. Auprès de nos collègues, nous avons appris un bout de Hongrie.

JOURNAL DE BORD

Orianne Pieragnolo

3/25/20235 min read

Dans le bungalow du fond, nous retrouvons nos collègues, Zoltan, Arpi, Andreas, Geri et Gesa, des têtes de pierreux aux allures de pirates. Bonnets de travers, salopettes blanches et des outils pour armes. Autour de nous, sept cabanes bricolées en bois servent de postes de travail. Tout est en plein air, dans un parc blanc. Au centre, des morceaux de réseaux¹ néo-gothiques, de baies et de chapiteaux nous surveillent au travail. L'ambiance est simple, belle. Entre allemand, anglais et gestes, nous nous comprenons. En quelques
jours, nous prenons nos marques et attaquons une “patate”² de 80 cm de large sur 78 cm de profondeur et 48 cm de hauteur. Elle prendra la forme d'un culot de jambage³.

Il est 6 h 30 ce matin à Budapest. Derrière la vitre du bus, nous nous demandons comment va être cette nouvelle expérience. Les paysages qui défilent portent encore un air soviétique. Ce petit truc, qui, sorti de la capitale, colle toujours aux villes et aux villages. D'ailleurs les arrêts de bus eux-mêmes en sont le reflet. Comme aujourd’hui, après une heure de trajet, lorsque nous sortons devant un panorama de collines aux vergers sans feuilles. Pas une maison à l'horizon, seul le panneau Sóskút Kőbánya (Carrière de Sóskút). Sacs d'outils à l'épaule, nous montons à pied la route de bitume défoncée qui fait face à nous. C’est le grand jour ! La première embauche hongroise. Comme chaque fois, un mélange d'impatience et d'appréhension nous submerge. En arrivant ce matin, nous ne savons qu'une chose, nous avons des pierres à tailler pour le ministère des Finances de Budapest.

La vie d'atelier

La carrière se situe à 10 minutes à pied de l'atelier. C’est un des plus grands fronts de taille que nous ayons vu depuis notre départ. Le lieu est immense, un grand champs blanc crème où une scie sur rails coupe directement en parpaings le carreau⁴. La pierre de Sóskút est un calcaire clair et tendre et sa facilité de coupe ne nécessite pas beaucoup d’équipement. C’est pourquoi tout autour de nous, au milieu de blocs énormes et des palettes, l’on ne trouve que trois ou quatre machines-outils à l'horizon avec, pour mains d’œuvre, quatre collègues seulement. Si l’on prend du recul, nous pourrions imaginer une usine de morceaux de sucre. En face, le front qui s’érige comme une muraille est strié de lignes d’une quinzaine de centimètres entre elles. Il est le résultat de plusieurs centaines d’années d’extraction. Car cette pierre, nous explique Zoltan, a construit une partie de Budapest et notamment le Parlement de 1885 à 1904. Aujourd’hui, elle est principalement extraite pour alimenter les besoins en construction des monuments sur la colline de Buda. Plusieurs chantiers prévus sur une quinzaine d’années, dont le ministère des Finances, pour lequel nous travaillons.


Nous avons donc récupéré nos pierres apportées dans un camion-benne, par les collègues de la carrière. Car avant de commencer à tailler, il faut demander aux carriers de débiter⁵ les pierres. Après une petite heure, nous nous faisons livrer nos “patates²”. À l’atelier, les collègues, nous ont prêté quelques outils pour compléter notre maigre trousse. La plupart sont similaires à ceux que nous utilisons. Nous remarquons juste qu’à la place des chemins de fer⁶, ils utilisent des râpes ou des blocs de carborundum⁷.

La carrière de Soskut

Au fur et à mesure, nous apprivoisons les lieux et leur histoire. Sóskút est une carrière, mais aussi un village de tailleurs de pierre. Il y a de ça une cinquantaine d’années, le village comptait de nombreux tailleurs de pierre qui, pour la plupart, travaillaient à la carrière. Aujourd’hui, on peut les compter sur les doigts d’une main. Arpi, notre collègue, en fait partie. Il est l’ancien de l’atelier : 52 ans d’expérience et la pierre dans son cœur. Il est né à Sóskút, a appris le métier de son père. Lorsque nous le voyons tailler, nous sommes sidérés du geste évident avec lequel il taille la pierre. On ne peut s’empêcher de penser que lorsque cela fait plus d'un demi siècle qu'un homme travaille une matière, qu’il doit bien faire corps avec elle. Ainsi, nous imaginons la pierre de Sóskút avec le visage rieur de Arpi. Un air malicieux et bienveillant.


Sóskút fut aussi tendre que sa pierre. Nos collègues qui en respirent, chaque jour, des
particules, ont dû absorber quelques traits de caractère. C’est ainsi que le dernier jour, après les avoir écouté partager leur vie de pierreux avec nous, le temps d’un entretien, nous reprenons sur une épaule notre sac d’outils, mais sur l’autre, nous ajoutons le baluchon offert par Arpi. Un bâton, avec au bout, un petit paquet enrubanné dans un tissu : une palinka, un gâteau et un mot.
Le ventre se serre, il faut partir. Encore une fois.
Nos collègues nous ont donné quelques bouts de Sóskút et de cultures locales. Nous leur avons donné des images de voyage et des histoires. La boucle est bouclée. L’itinérant a
rencontré le sédentaire.

Encore un départ

Réseaux néo-gothique¹ : Partie ouvragée d’une baie dessinant un ensemble géométrique

Patates²: Pierre non équarri, dont les faces ne sont pas dressées à l’équerre.


culot de jambage³
: Support saillant sur lequel repose le jambage d’une baie.

Carreau⁴: Sol sur lequel se trouvent toutes les installations de surface: usines, traitement du minerai, débitage des blocs, stockage du matériel.

Débiter⁵: Couper un bloc brut aux mesures voulues.

Chemins de fer⁶ : Rabot à lames métallique permettant de surfacer les faces d'un volume.

Blocs de carborundum⁷ : blocs de polissage

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Différentes vues de l'atelier et de la carrière de Sóskút

Carrière de Soskut, débit des parpaings de pierre

Carrière de Soskut, bloc fendu, au loin le front de taille.

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