PIERRES SANS FRONTIERES

Pendant notre séjour dans la capitale, nous avons aussi eu le plaisir de rencontrer Andjelka, architecte serbe, intriguée par le monde de la pierre avec qui nous partageons nos observations. Elle est devenue notre référente pour l’étude en Serbie et nous fait part de l’existence de carrières de marbre dans sa région natale à environ 80 km de la ville d'Aranđelovac. Nous décidons donc de poursuivre notre enquête dans cette direction, le temps d'une journée.

La montagne que nous découvrons est rongée par plus d'une dizaine de carrières de marbre blanc. En nous approchant, les panneaux “Kamenorezaç” (coupeur de pierre ou marbrier en serbe) se multiplient le long des routes. Sur le bas-côté, nous apercevons de plus en plus de blocs ou de tranches empilées de différentes natures de roche, mais nous ne trouvons par le marbre blanc local que nous cherchons. Pour mieux comprendre, nous tentons d'accéder à deux de ces carrières à pied. Les sites d'extractions sont soit abandonnés, soit inaccessibles aux visiteurs. À la vue des caméras et des énormes Dumper² circulant sur la route, nous rebroussons chemin. D'ailleurs, en redescendant vers le village, nous entendons plusieurs sirènes qui annoncent un tir de mine.

À ce moment, nous sommes dans l’atelier d’Alexander, situé en contrebas. Il est le représentant de la troisième génération de marbriers de sa famille. Son grand-père, originaire d'Italie, possédait l'une des carrières que l'on peut voir depuis l’atelier. Mais lors de l’arrivée du régime socialiste, à partir de 1945, sa carrière a été nationalisée. Dépourvu de son bien, il s’est vu obligé de démarrer l’activité de marbrerie.On entend au loin une énorme détonation. Des explosions comme celle-ci , il y en a plusieurs par jour, nous dit Alexander. Elles n’existaient pas quand les carrières extrayaient du bloc pour la construction. Aujourd’hui, la roche arrachée de la montagne à l’explosif est ensuite concassée ou broyée. Sous cette forme, le marbre fournit de nombreux secteurs industriels, comme la métallurgie, la pharmacopée ou l'agroalimentaire.

À la sortie de Novi Sad, non loin d'un cimetière, nous garons nos vélos devant l’entrée d’un atelier. Des stèles funéraires en marbre et en granit nous entourent. Assis à l'ombre, sur le palier d'une cabane en parpaing, Zoran, nous accueille. Il est le patron de cette petite entreprise familiale. Après quelques minutes à fouiller au fond de son bureau, il sort de son fourbi un ouvrage épais et poussiéreux qu'il nous remet entre les mains. C’est un catalogue chinois de produits manufacturés en pierre. Pour Zoran cela ne fait pas de doute : “C’est en Chine, qu’aujourd’hui, les vrais tailleurs de pierre se trouvent !”

Ancienne carrière de marbre blanc de Venčac près de la ville d'Aranđelovac

Cette constatation nous frappe. Elle nous amène à réfléchir sur l'utilisation prédominante de pierres importées dans l'artisanat en Serbie, une pratique qui semble évidente chez les artisans locaux.

Quelques jours après, arrivés à Belgrade, nous découvrons le salon international de la construction serbe¹, un rendez-vous incontournable pour notre étude. Dans l'immense parc des expositions, de nombreux fournisseurs d'engins, de matériels et de matériaux exposent leurs catalogues grandeur nature. Parmi eux, une vingtaine d'exposants sont dédiés à la pierre naturelle. Dans les allées, nous discutons avec des représentants de carrières d’Europe et d’Asie. Puis sur un stand, une entreprise familiale serbe nous accueille pour présenter le granit qu’ils extraient près de Belgrade. Leur pierre fournit principalement des chantiers de voirie. Ce sont les seuls présents sur le salon qui proposent une pierre locale. En définitive, cet événement nous donne un aperçu supplémentaire des ressources en pierre disponibles dans le pays et nous constatons que la pierre étrangère y est majoritaire.

Au bout de la piste

¹ Au sein du 47e salon international de la construction de Serbie, se déroulait le 13e Stoneexpo, salon international de la pierre de Serbie.

Carrière de granit de Ploče en Serbie.

Légende (de gauche à droite) :

• Vue de la cathédrale de Belgrade en construction

• L'un des portails de la cathédrale de Belgrade

• Blocs marchands d'un fournisseur

• Granit serbe

• Plaques de granit étranger chez un fournisseur

• Blocs marchands d'un fournisseur

• Palettes de pierres stockées dans la cathédrale de Belgrade

• Enfants jouant sur des pavés de marbres blancs stockés devant le parvis de la cathédrale de Belgrade.

La visite de l'atelier se poursuit. Alexander explique volontiers les moindres détails du fonctionnement de l’entreprise. La plupart de ses commandes sont des stèles funéraires, des plans de travail ou du dallage. Il nous décrit avec précision les qualités et provenances de son stock qui est essentiellement composé de pierres étrangères. Ces tranches, nous dit-il, proviennent d’un fournisseur situé à quelques kilomètres. Nous laissons donc Alexander pour nous y rendre.

Arrivés sur place, des blocs marchands³ stockés, de toutes les couleurs et différentes natures, s’élèvent autour de bâtiments d’usine. Ils proviennent du monde entier. Des gros blocs de près de 4 m³ attendent patiemment sous le pont roulant⁴ avant d'être déplacés puis débités en tranches par machine, dans l'usine. Ensuite, ils seront distribués dans tout le pays et dans le reste des Balkans.

La journée d'exploration dans cette région se termine. En essayant de retracer le chemin qu'emprunte le matériau, de son extraction au produit fini, parmi toutes les entreprises découvertes, nous faisons le même constat. La filière pierre serbe apparaît être intimement liée aux importations étrangères. L’emploi de la pierre locale est quasiment inexistant malgré une diversité géologique du pays très riche.

L'entreprise d'Alexander et une vue sur son stock. Au loin la carrière de marbre blanc de Venčac.

L'enquête se poursuit

² Dumper: (anglicisme du mot tombereau) camion à benne basculante.

³ Blocs marchands: bloc de pierre brut extrait de la montagne.

⁴ Pont roulant : appareil de manutention permettant le levage et le déplacement de charges lourdes.

Où est la pierre serbe ?